Les premiers à imaginer la création d’une « maison de refuge » sont les édiles d’Autrans et le Garde général des Eaux et forêts du Villard (de Lans). Celui-ci expose, dans une note circonstanciée du 23 août 1868, les raisons qui plaident en faveur de cette édification :
« Les communes d’Autrans et de Méaudre sont en effet situées dans une longue vallée, complètement fermée si ce n’est toutefois vers le versant sud, où une gorge étroite livre passage aux eaux qui en proviennent et qui se rendent dans le bassin de la Saone (sic). Les hautes montagnes qui l’enserrent dominent à pic la vallée de Rencurel, de la Rivière et de Saint-Gervais à l’ouest : la vallée de l’Isère au Nord. Aucun débouché n’est possible si ce n’est par quelques passages abrupts et dangereux comme les pas d’Achieux, de Gonson, de la Clé, bordés de précipices.
C’est à l’Est seulement qu’un chemin praticable a pu être construit, à la condition de franchir la haute chaîne qui sépare la vallée d’Autrans de celle du Villard de Lans. Ce chemin, soit chemin de grande communication d’Autrans à Grenoble ou encore chemin de la Grande Combe, circule à travers la forêt communale de Méaudre, encaissé dans un repli du terrain et franchit la chaîne au lieu dit le col de la Croix Perrin, de là ce chemin redescend sur le flanc opposé de la montagne sous le nom de Chemin neuf et s’embranche à Lans avec celui du Villard de Lans à Grenoble.
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En raison des hiver rigoureux qui sévissent dans ces régions, l’amélioration de cette route doit être une préoccupation constante des communes intéressées. Or le col de la Croix Perrin, situé sur la limite des forêts communales de Méaudre et de Lans se trouve à une altitude d’environ 1300 mètres, nullement abrité contre le vent du nord qui y souffle avec violence et se trouve exposé à ces tourmentes de neige si terribles en montagne et qui, en peu de temps, amoncellent des hauteurs de 2 à 3 mètres de neige. Dans de pareilles conditions, la circulation est donc très souvent entravée et elle peut même devenir dangereuse pour les voituriers déjà engagés sur cette route, sans espoir de secours si cela était nécessaire, vu l’éloignement de toute espèce d’habitation.
Des raisons aussi importantes ont donc fait décider par nous la construction sur le col même de la Croix Perrin d’une maison de refuge devant servir d’abri pendant les tourmentes et où l’on pourrait trouver du secours en cas de besoin. »
Le garde général des Eaux et forêts n’est pas le seul à avoir ce projet en tête puisqu’il rapporte dans cette même note que la commune d’Autrans « fait valoir que cette maison pourrait servir d’abri à un cantonnier ce qui est une excellente mesure au point de vue de l’entretien de la route, pour le déblayement de le neige en hiver.
Elle propose également qu’un logement y soit réservé pour un garde forestier, étant situé au centre des forêts communales de Méaudre et de Lans ». Le Garde général souligne que cette idée n’est plus très nécessaire, car « maintenant les délits sont assez rares » et il craint que le voisinage du débit (de boisson, inhérent à la fonction de refuge) ne perturbe le garde forestier qui résiderait là ; il n’en conclut cependant pas moins en approuvant « le projet de la commune d’Autrans ». Une délibération du 20.11.1868 du Conseil Municipal d’Autrans fait état de ce projet.
Il faut attendre cinq ans pour qu’une délibération du Conseil Municipal de Méaudre du 10.02.1873 reprenne les mêmes propositions et précise : « le but principal de cette construction étant de pourvoir aux besoins des voyageurs, elle serait louée à une famille qui y tiendrait les boissons et les aliments nécessaires, en sorte que tout en rendant des services incontestables les communes retireraient le revenu de leurs déboursés. Le Conseil décide de demander à l’Administration forestière d’autoriser la construction d’une maison de refuge sur le terrain soumis au régime forestier au lieu dit la Croix de Perrin : d’accorder à la commune de Méaudre une coupe extraordinaire d’une valeur suffisante pour couvrir sa part des frais de construction… ; de céder autour de la future construction quelques hectares de terrain qui seraient cultivés par le locataire » .
Enfin la commune demande que le Garde général du Canton soit chargé de faire les plans et de veiller ensuite à leur réalisation.
Le projet suit son cours et permet même aux deux communes d’Autrans et Méaudre de trouver un accord sur une vieille querelle : la ligne de séparation de leurs deux territoires « vers le torrent de Barbuisson » M. Perroud, géomètre forestier, obtient que les deux parties s’entendent pour admettre comme ligne séparative celle du cadastre du Méaudre et « comme les deux communes se proposent de faire construire à frais communs une maison de refuge (…) il a été décidé que dans la partie précédemment en litige, tous les bois nécessaires à ladite construction y seraient pris, et que le transport de ces bois à la Croix Perrin se feraient (sic) à frais commune ».
Délibération du Conseil municipal de Méaudre, le 27 décembre 1874.
Le refuge va-t-il bientôt sortir de terre ? Il n’en est rien ; et il faut attendre 1910 pour que ce projet revienne dans les délibérations des Conseils municipaux.
Le 6 novembre 1910, le Conseil municipal de Méaudre fait, une fois encore, la proclamation de la nécessité de construire un « chalet-refuge » à la Croix Perrin. Manifestement, la Commune d’Autrans tient les mêmes propos et les deux ensemble se tournent vers l’Administration forestière pour lui demander l’autorisation de procéder aux coupes de bois nécessaires au financement et la charger de prendre en mains la direction de la construction. On peut relever dans cette délibération l’apparition d’une expression promise à un bel avenir… : « considérant qu’au point de vue touristique notre pays est de plus en plus fréquenté et qu’il y aurait sans doute avantage à faciliter aux étrangers et voyageurs la visite de nos belles montagnes… (il paraît souhaitable)… d’adjoindre au chalet-refuge à édifier, une salle de restaurant pour leur faciliter de prendre un repas pendant leur voyage ou leur excursion. »
Nouveau silence ! mais pas totalement inactif puisqu’en 1912 Monsieur le Maire de Méaudre invite son Conseil municipal à prendre connaissance des plans et devis dressés par M. le Garde général Chaluleau. Ces plans incluent les différents objectifs de la construction : refuge pour voituriers et voyageurs, remise ou écurie pour les attelages, notamment ceux des voituriers « occupés au transport des pièces de sapin » ?
Sans oublier la salle de restaurant destinée aux touristes. Ainsi le Conseil « approuve dans toutes leurs dispositions les plans et devis dressés (…) sous la réserve toutefois que les dépenses totales qui incomberont à la commune de Méaudre ne dépasseront pas 8000 frs ». Le Conseil vote une provision de 5000 frs pour financer les travaux de l’année 1912 et souhaite que ces travaux soient rapidement conduits afin que « le bâtiment à construire puisse être couvert avant l’hiver prochain ».
Le 23 février 1913, le Conseil municipal doit répondre à la demande du Garde général des Eaux et Forêts qui souhaite une modification des plans en cours d’exécution. En effet, il fait valoir que la remise n’est pas assez profonde pour que les attelages puissent s’y abriter sans avoir à dételer les chevaux. Il souhaite donc agrandir cette partie du bâtiment et assure que le surcoût ne dépassera pas 2500 frs. Cette proposition est acceptée.
Lors de sa délibération du 29 juin 1913, le conseil municipal de Méaudre vote un crédit de 5000 frs pour les travaux de l’année en cours, ce qui place déjà la dépense sensiblement au- dessus des 8000 frs auxquels on disait vouloir se tenir ! Pourtant, on veille scrupuleusement sur les dépenses : ainsi apprend-on que Méaudre « a autorisé Rochas Emile à procéder à la recherche de source pour alimenter le chalet, mais sans prendre aucun engagement auprès de M. Rochas soit pour l’indemniser de ses travaux, soit pour acquérir l’eau qu’il pourra capturer ».
La fin des travaux approche, aussi convient-il de passer une Convention entre les trois communes copropriéaires, Lans, Autrans et Méaudre. Le Garde général des Eaux et Forêts propose la tenue d’une Conférence intercommunale où chaque commune sera représentée par deux délégués désignés par leur conseil municipal respectif.
La Conférence du 30 août 1913 élabore un projet de Convention qui est soumis aux différentes communes. Méaudre demande des modifications lors de sa séance du 6 septembre : elle obtient partiellement satisfaction et entérine la Convention après une délibération du 13 septembre 1913. Autrans fait de même par une délibération du 18 septembre ; enfin Lans signe également le 12 octobre.
La Convention stipule que les terrains cédés par Lans, et qui étaient son ancien entrepôt de bois n° 6, d’une superficie d’environ 16 ares et 70 centiares, représentent une valeur de 1000 frs et deviennent propriété indivise des trois communes.
L’immeuble a coûté 28000 frs, soit 1000 frs pour Lans, 13 000 frs pour chacune des communes d’Autrans et de Méaudre. Chaque commune est propriétaire indivis au prorata de son apport, soit 2 /28 pour Lans et 13 /28 pour chacune des deux autres communes. Autrans et Méaudre devront assumer les frais d’assurance, d’entretien et d’impôts. Les sommes provenant de la location seront affectées à l’entretien. Le mobilier sera propriété indivise au prorata du droit de chaque commune. A remarquer que le Touring Club fait une subvention de 1500 frs pour meubler le chalet.
La gestion du chalet est confiée à Monsieur l’Agent des Eaux et Forêts Chef de Cantonnement à Villard de Lans . En mars 1914, le Conseil municipal de Méaudre entérine le « bail de location fait à M.Bellier Adrien, pour un montant de 50 frs l’an ». En 1935, le refuge reçoit la Fée électricité !
Le chalet fut incendié par les Allemands, le 21 juillet 1944, lors de la bataille du Vercors. Dès le printemps 1945, M. Teillaud, architecte à Grenoble, fut désigné pour établir les plans et devis nécessaires à la reconstruction. Les travaux commencèrent sans tarder et, en septembre, les élus d’Autrans et de Méaudre s’étonnent de constater que l’Administration des Eaux et Forêts ait fait engager la reconstruction sans les informer. Ils craignent des frais trop élevés , malgré la prise en charge d’une partie des dépenses par le « Commissariat à la Reconstruction », car celui-ci précise clairement que sa participation concerne la reconstruction et en aucun cas des travaux d’agrandissement, d’embellissement ou d’amélioration du bâtiment détruit.
En 1948, les travaux achevés, la « Maison forestière » de la Croix Perrin avait retrouvé son intégrité et redevint le repère familier des voyageurs.
Depuis quelques années, les Communes ont vendu cet édifice, aujourd’hui sympathique restaurant à l’enseigne de « l’Auberge de la Croix Perrin ».